Peu d’espoir pour l’Irak

This commentary was first published on December 5, 2006 in Les Echos.

Il est temps de renoncer à nos espoirs de voir la commission Baker-Hamilton sortir une baguette magique qui résoudrait la crise irakienne. Elle a tout d’abord dû régler le différend entre républicains et démocrates en proposant un compromis sur au moins une question, le calendrier du retrait des troupes américaines. Par ailleurs, le gouvernement Bush s’est empressé de mettre en oeuvre ses propres mesures politiques, peut-être pour éviter certaines idées de la commission (l’instauration d’un dialogue avec l’Iran et la Syrie par exemple) ou parce que les nouvelles conditions sur le terrain l’ont contraint à envisager une nouvelle approche.

La semaine dernière, George W. Bush a rencontré Nouri Al-Maliki, le Premier ministre irakien, en Jordanie, au cours d’une réunion pénible et délicate. Politiquement affaiblis dans leur pays, les deux hommes ont compris que les problèmes irakiens ne se résoudraient pas facilement. Ils doivent secrètement s’en accuser mutuellement, même s’ils s’efforcent de trouver des idées constructives applicables dans un avenir proche. Bush a déjà été confronté aux électeurs lors des élections de mi-mandat et sait que sa présidence sera sévèrement jugée en raison de ses ambitions irakiennes. Al-Maliki doit quant à lui sentir le sol se dérober sous ses pieds, alors que s’accentuent les pressions du leader chiite radical Moktada Sadr pour chasser les Etats-Unis et que se multiplient les hypothèses sur la composition du prochain gouvernement, si Al-Maliki venait à perdre son poste.

À Washington, les conservateurs, qui essaient de récupérer les événements irakiens pour les livres d’histoire, tentent un dernier effort du côté de la sécurité, en réclamant l’envoi de troupes supplémentaires, la reprise de Bagdad et un soutien plus fort à l’armée irakienne. Certains militaires professionnels pourraient approuver cette idée, car ils savent qu’il faudrait davantage de troupes et s’inquiètent des conséquences d’une défaite humiliante en Irak pour les Etats-Unis et leurs institutions. D’autres se préoccupent surtout de préparer leur départ et estiment qu’il y a un impératif moral à stopper l’hécatombe des soldats américains et la décrédibilisation du pays. Les Irakiens de la nouvelle classe politique de Bagdad et ceux des provinces qui essaient de construire une nouvelle société sont terrifiés à l’idée d’un retrait rapide des Américains, mais leur voix se perd dans les violences.

Est-il possible de proposer de nouvelles idées au gouvernement ? Al-Maliki devrait-il affronter une crise parlementaire ? Les Irakiens peuvent-ils se regrouper et adopter un nouveau leader qui saurait faire des choix difficiles en matière de sécurité sans essayer de contenter les mouvances sectaires ? Il est difficile d’écrire un tel scénario. L’on sent toutefois, tant à Bagdad qu’à Washington, la volonté de voir se mettre en place en Irak une nouvelle structure de gouvernement qui placerait l’efficacité avant l’unité, au moins provisoirement.

C’est tout à la fois un voeu pieux et une demande réaliste d’imaginer un gouvernement irakien plus cohérent et plus compétent. Les Etats-Unis ont imposé si rapidement tant de principes démocratiques aux Irakiens que les fondements mêmes de la gouvernance ont été négligés. Sans parler des étranges rouages de la dépendance : tant que nous sommes là, les hommes politiques irakiens peuvent se conduire de manière irresponsable sans que cela ait de conséquences réelles, mais si nous partions, rien ne prouve qu’ils deviendraient plus mûrs et efficaces.

La tragédie irakienne marquera toute une génération d’Arabes et aura de profondes répercussions sur le rôle international des Etats-Unis. Elle reportera sûrement les perspectives de changements politiques dans une région qui en a cruellement besoin. L’émigration des Irakiens les plus instruits ne facilitera pas la reconstruction du pays quand le climat de violence qui règne aujourd’hui se sera calmé. Et il sera sans doute encore plus difficile pour les Etats-Unis de répondre à de nouveaux problèmes avec un gouvernement et des ressources d’une seule nature. En ces temps obscurs, l’on peine à voir quelles étapes pourraient constituer une vraie différence, mais pour les pragmatiques, il faut continuer à travailler sur la gouvernance, la sécurité et la dimension régionale de la crise irakienne.

Subscription Options

* indicates required

Research Areas

Pivotal Places

Publications & Project Lists

38 North: News and Analysis on North Korea